Commissions d’enquête sur le terrorisme : quel bilan ?

La commission d’enquête parlementaire relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 vient de rendre son rapport, avec de forts échos dans la presse.

J’y participais en tant que député écologiste. C’est la troisième commission d’enquête parlementaire sur le terrorisme à laquelle je participe depuis 2012, après celle sur l’action des services de renseignements – que j’ai présidée – formée après l’attentat de Toulouse (« l’affaire Merah »), celle consacrée aux suivi des filières et des individus djihadistes, et cette dernière, donc, formée après les attentats de Paris de novembre 2015.

C’est un long engagement, un marathon, dans lequel il ne faut ni s’épuiser ni se blaser. Et c’est une position singulière, d’être, à chaque fois, le seul député écologiste au sein des trente parlementaires que compte une commission d’enquête.
Une position singulière parce qu’il y a chaque fois peu de voix pour rappeler que tout ce que nous pourrons faire pour lutter contre le terrorisme n’a de sens que si c’est fait pour protéger nos libertés.
Cet engagement vient d’abord de mon implication locale. C’est l’appel au secours de la famille – gardoise – d’une des victimes de Merah qui a déclenché la première commission d’enquête.  Ce sont des situations locales, au contact de familles dont l’enfant était partie en Syrie, au contacts d’éducateurs pris dans des situations inextricables, au contact des acteurs locaux de la sécurité, la DGSI en région et dans le Gard, la SCRT, les différents préfets qui se sont succédé, que j’ai pu approcher des situations concrètes constamment, et voir les dysfonctionnements éventuels, les besoins..
Cet engagement long est un atout pour comprendre et analyser les menaces, et les réponses qu’on peut y apporter.

Durant ces trois commissions, je me suis beaucoup intéressé aux fonctionnement des services de renseignements, aux secours apportés aux victimes, et aux possibilités de détection et de prévention des trajectoires de radicalisation.
Cette troisième commission s’est particulièrement focalisée sur les moyens mis en œuvre pour secourir et aider les victimes et leurs familles, et sur l’efficacité des procédures des services de sécurité et de renseignement.
Une commission d’enquête, ce sont d’abord des auditions. 200 heures d’audition, pour celle-ci. Victimes, associations de victimes, soignants, policiers, gendarmes, militaires, ceux qui sont intervenus sur les lieux des drames, officiers de tous les corps et de toutes les directions… Ce sont aussi des déplacements : à Bruxelles pour rencontrer les services belges, à la Haye au siège d’Europol, dans les quartiers dédiés des prisons, en Grèce, en Israël, à Londres, sur les lieux des attentats.
Il faut entendre, recouper les informations, passer beaucoup de temps à échanger, à apprendre. Et puis compiler, analyser, ne pas perdre de vue les enseignements passés. Est-ce que telle procédure est efficace ? Et si on doit là changer, comment ? Qu’est-ce qui ne fonctionne pas dans tel secteur ? Pourquoi ? Que faut-il pour améliorer la prise en charge des victimes ? Quelle est l’échelle la plus pertinente pour traiter l’information rapidement ? Et pour la partager ?

De ces trois années de travail, je ressors plus persuadé que jamais que les dispositifs mis en place pour la sécurité des personnes ne sont qu’une partie de la réponse. Les plus visibles, les plus faciles à invoquer ou dénoncer sur une tribune, mais pas les plus efficace à long terme. Nous sommes en guerre, oui. Mais pas en guerre comme nous l’avons été avant. Ce n’est pas une guerre de territoire ou de suprématie comme les autres guerres l’ont été. C’est une guerre de déstabilisation, de destruction de la démocratie et de cette « civilisation de la liberté » que nous essayons de construire, les écologistes avec d’autres.
Du coup, les « armes » pour lutter dans cette guerre ne peuvent être les mêmes que les armes que nous utilisions avant. La première des armes des terroristes qui nous frappent depuis plusieurs années, c’est leur acceptation de leur propre mort. Des gens qui acceptent l’idée que leur vie ne vaut plus rien et qu’ils peuvent encore la racheter en nous détruisant. Ce ne sont pas les terroristes des années 70, ni une armée, même « irrégulière », ni même seulement des « kamikazes ».
Pour en arriver là, il faut un cocktail détonnant. Que nous ne cernons pas encore complètement, mais que nous devons déminer dans toutes ses facettes : éducatives, médico-sociales, psychologiques, culturelles, sécuritaires, judiciaires, …
Cette guerre est d’abord une guerre idéologique, une guerre contre une idéologie totalitaire, qui n’a rien à voir avec la religion, qui ne fait que s’en servir comme prétexte. Daesh n’est ni un état, ni islamique. Daesh est un nouveau fascisme.

Depuis ces trois ans, je travaille deux propositions. L’une que j’ai formulé lors de la commission d’enquête sur les filières djihadistes, de création d’une brigade, d’équipes d’éducateurs spécialisés sur les enjeux de la radicalisation, pour créer un maillon inexistant et indispensable dans la chaine d’information, de formation, de détection, et de préventions des dérives radicales individuelles et collectives. Des éducateurs qui sauront faire le lien entre les acteurs sociaux et les dispositifs de sécurité et de renseignement. J’ai demandé au premier ministre une mission pour faire avancer rapidement cette question.
L’autre volet d’investissement de mes travaux concerne le renseignement, et particulièrement sa dimension européenne. C’est l’objet de ma contribution au rapport de la commission d’enquête de juillet 2016. Il faut très vite avancer sur cette question de la coordination de nos informations à l’échelle de l’Europe. Il faut arrêter de tergiverser sur la question du « meilleur outil commun ». Ces tergiversations ne sont là que pour masquer le fait que les services de renseignements des grandes nations ont peur de perdre une souveraineté dans le traitement de leurs informations. L’outil existe, c’est Europol. Il faut le renforcer, le doter de compétences humaines fortes, créer une culture de la coopération en matière de renseignement. Ce n’est pas seulement une question opérationnelle de la plus haute importance, c’est une question politique. La France n’est pas la seule visée par le nouveau fascisme. C’est toute l’Europe que Daesh cherche à déstabiliser. C’est toute l’Europe qui doit prendre la mesure du combat. Et ce combat est un levier pour une Europe politique.

 

Ma contribution sur le renseignement européen :

contribution commission terrorisme v3

Les rapports des trois commissions d’enquête :

2016 : commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015

2015 : commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes.

2013 : commission d’enquête sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés

 

 

La commission d'enquête parlementaire devant le Bataclan. Crédit photo Benoit Tessier Reuters

La commission d’enquête parlementaire devant le Bataclan. Crédit photo Benoit Tessier Reuters

Commission enquête terrorisme

 

Gazette 200716

 

ML 140716

 

 

 

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