Compte rendu soirée du 2 mars 2015 «  Dessinons notre avenir2 » 

 

au Bar restaurant Le Mas de Margueritte.

Christophe Cavard  a introduit la discussion en rappelant pourquoi il a souhaité mettre un focus particulier à cette rencontre avec des acteurs des zones sensibles, dans le climat actuel de tension et d’ambiance délétère.

Parmi les personnes invitées, des gens qui vivent la fonction associative, des professionnels  éducateurs de la ADPS – PJJ – SIP et des citoyens susceptibles de bâtir des actions ensemble :

CC : «  Il faut que tout le monde se prenne en charge, les institutions, la puissance publique, les acteurs associatifs et les citoyens eux même … Comment entrainer d’autres à agir, quelles seraient les priorités à court, moyens et long terme ? Comment se mettre en réseau pour passer à l’action dans un contexte et une ambiance particulière ? »

Il a fait état de sa participation à la commission de réflexion sur les filières djihadistes et de sa rencontre avec  le directeur de la DST : « toutes les réponses ne passent pas par la sécurité mais par l’éducatif, il faut leur donner des pistes en se saisissant de ce contexte particulier ».

Avant de donner la parole aux personnes présentes, il les a invitées à s’exprimer sur leurs expériences, afin de dégager des pistes pour construire ensemble des propositions concrètes sur lesquelles s’appuyer dans le cadre de sa mission parlementaire.

Olivier Tivoli éducateur spécialisé à l’Action Départementale de Prévention Spécialisée

Olivier s’est appuyé sur l’histoire du conseil national de la résistance en lien avec la question du « vivre ensemble ». La prévention spécialisée est née de la résistance : « L’avenir d’un pays c’est la jeunesse » et des valeurs développées à l’époque : « Saine de corps et d’esprit ». C’était après la guerre, pendant la reconstruction  qu’est né le métier d’éducateur de rue, lié au mouvement des « blousons noirs », voyous de l’époque. La question du prima de l’éducatif a trouvé sa réponse : « aller les éduquer là où ils vivent ». C’est un mouvement d’éducation populaire qui mène des actions en milieu ouvert, sur le principe de la libre adhésion du public. A l’époque et dans ce contexte particulier, le regard des adultes a changé parce qu’ils se sentaient coupables de léguer une société après la guerre et la Shoa.

L’après Charlie : Est-ce que ce n’est pas la résultante d’autres choses, d’une société qui a perdu ses repères !… Les déconventionnements des Conseils Généraux ? Les ministères qui s’agitent : « Vous avez chaud dans les départements ! » et finalement la prise de conscience que les éducateurs de rue servent peut-être à quelque chose ? Aujourd’hui, l’éducateur s’immerge sur le territoire, il mène des actions sur les quartiers, de loisir pour les plus jeunes et pour les plus âgés, il y a un chantier sur le décrochage éducatif en lien avec les établissements scolaires et dans l’accompagnement individuel.  Sur la ville de Nîmes, nous sommes 10 éducateurs, 50% sont sur le Mas de Mingue et 50% sur Valdegour. Le ratio est d’un éducateur pour 1000 habitants, ce qui est bien en deçà des besoins. »

 

Rachid Bendjghit , éducateur à la PJJ

La PJJ dépend du ministère de la justice et prend en charge les délinquants.Ses premiers mots sont en faveur du Re Vivre Ensemble avec nos différences : « Depuis 30 ans les conditions se sont bien détériorées, surtout les conditions de vie des gens, de leur cadre de vie : des écoles bunker, les jeunes galèrent, pas de boulot, plus de commerce dans les quartiers. Comment va-t-on faire ensemble pour reconstruire ?  Il nous faut créer les conditions de la mixité sociale, ne pas ré amalgamer les personnes de même origine dans un même quartier et avec des commerces qui s’ouvrent vers l’extérieur. »

Mounir animateur du club de foot du Mas de Mingue.

« C’est difficile pour nous car au Mas de Mingue il n’y a pas d’infrastructure pour le foot. Le quartier a changé. Il y a quelques années, tout le monde connaissait tout le monde. Est-ce que ça a été fait exprès ou pas ? Pour le foot, on se concentre sur l’école, les séniors 18 ans et plus, on y arrive plus ! Les jeunes semblent avoir plus de respect pour les gens qui s’impliquent, c’est par là que la confiance peut se créer en faisant réapparaître le fait qu’on vit au même endroit. »

Aline Gallice, responsable du Carrefour Associatif au Mas de Mingue.

Depuis 33 ans, elle accompagne des familles et des enfants. Tous les jours 210 gamins : « On n’est pas des extraterrestres, la question de la confiance est importante, pour rentrer en relation et connaître, c’est du long terme, des repères. »

Rachid Sekkar, animateur de l’association Humanimes

Actuellement, Rachid est en formation DEJEPS sur la coordination de projets de territoire sur le sujet : Abandon des pouvoirs publics sur les territoires – radicalisme et délinquance.

L’association Humanîmes agit sur des projets humanitaires : Au Maroc, elle envoie de matériel Para médical, une école de foot au Burkina. « Au sein de l’association, on touche les 6-12 ans, les plus grands, personne ne veut s’en occuper et ils n’ont personne à qui parler. »

Samir Achaamany, danseur chorégraphe Hip Hop, association Inov A Son Rythme.

Il se défini comme un représentant Nîmois à l’international. Son but est de retrouver une génération qui a envie de se battre et le message de la danse HipHop est positif,  Peace and Love : « je me bats depuis des années et tout le temps qu’il me reste, je le donne à la jeunesse. J’investi mes propres moyens parce qu’on n’arrive pas à avoir de subvention. Lorsqu’on envoi des dossiers, il n’y a pas de retour. Il y a plus de subventions pour des événements que pour des besoins réels en fonctionnement. Pourtant le besoin de former, de transmettre, d’éduquer nos enfants est urgent. L’état est responsable de l’éducation. » L’association partage ses locaux place Montcalm. Musique, danse, le point positif c’est que les enfants ont un lieu de vie où ils peuvent venir s’entrainer, apprendre et développer. Il y a même un petit coin aménagé pour les devoirs. « Je garde espoir, je suis revenu dans ma région pour transmettre ce que je sais.  Le local est ouvert après 18-19h parce qu’il n’y a plus d’accueil pour les ados en soirée, il faut revoir ce système. Souvent les jeunes s’entrainent dans la rue, au carré d’art. Certains se sont pris des PV de 80€. Pourquoi ? Qu’est- ce qu’ils ont fait ? Le Hip Hop est né de la rue.

Notre structure est en évolution avec la passion et l’investissement des jeunes qui deviennent acteurs et militants de ce que nous faisons. La danse, le chant, le théâtre sont des outils, quand ils sont avec nous, ils ne sont pas en train de s’ennuyer avec le béton brut ! »

 

Eric Firoud

« L’avenir est fermé, c’est un avenir en échec ! Ce que je pense des causes, c’est que notre génération a conduit à cet état. Jamais je n’ai connu le racisme ou le délit de faciès. A notre époque, le parti communiste. Je me construis quand je m’oppose, moi c’était en 68, le NON révolutionnaire. Aujourd’hui c’est un NON conservateur, celui du FN. Quant à l’éducation, nous avons failli sur les programmes. Pour citer Aimé Césaire : La liberté OUI, l’égalité OUI, la liberté, il n’y en a point. La laïcité est un concept moderne, on la fait passer comme un acquis. Qu’est- ce qu’on propose aux jeunes, qu’est-ce qu’ils vont chercher ? Nous laissons tout ça dans les mains des charlatans. La carte scolaire a détruit la mixité et les politiques sont responsables de ne pas s’entendre sur la jeunesse. Les crayons ne sont pas bons pour dessiner notre avenir… Les politiques saupoudrent, ils doivent donner des moyens. Tout ça c’est sur du long terme et ENSEMBLE, si vous ne faites pas ça les politiques…. Les médias  font l’apologie du FN et ce qui va bien n’est pas vendeur ! »

 

Jean Michel Bourdoiseau

Enseignant pendant 23 ans à Valdegour et aujourd’hui formateur des enseignants.

Il témoigne d’un gros projet sur Valdegour d’initiation à la musique (des cuivres), une fanfare d’enfants, qui se produira le 31 mai au théâtre de Nîmes. « Au vrai théâtre », sous la direction de Zaiani Zouri qui est chef d’orchestre au conservatoire de Stain et qui mène ce type d’expérience en région parisienne. Le financement est privé.

Dans le cadre de son métier d’enseignant au collège Diderot, il témoigne du fait que c’est un travail au quotidien sur des valeurs basiques qui tendent à redonner confiance. Pourquoi ça ne fonctionne pas avec 60% des enfants ? Parce que ces enfants n’ont pas de projet scolaire. La principale cause c’est l’économie. Il faut former les enseignants sur les questions que les enfants doivent se poser : Comment j’apprends, comment je deviens intelligent. Comment on fait pour que les enfants aient envie d’apprendre. On peut construire avec les enfants mais on a délaissé ces questions.

Doriane Serrières, responsable d’un service insertion probation.

Le service est en milieu ouvert, une autre mesure que l’emprisonnement. Sa mission est de faire en sorte de favoriser l’insertion avec les obligations qui leur sont imposées. Le temps de la peine est utile. Le service mène une réflexion entre le répressif et l’éducatif inscrite dans les mesures de la loi Taubira qui est de faire témoigner les personnes et voir les expériences pour être efficace.

Cette loi de 2014 est mise en place avec peu de moyens. Les actions collectives amènent à la découverte d’univers pour les faire sortir de la détention. Mais il n’y a pas de place pour tout le monde car c’est une démarche participative pour savoir ce que les gens veulent faire.

En milieu ouvert, il n’y a pas la culture du collectif car les gens peuvent sortir. « Quand on a réfléchi pour voir ce qui pourrait être efficace, en poussant cette réflexion, l’idée du vivre ensemble s’est imposée, parce que ces personnes ont loupé cette étape-là. Cette année, nous mettons en place un module modeste : parler de la citoyenneté. Nous avons besoin de nous appuyer sur la société civile parce qu’il n’y a pas de place pour accueillir les peines d’utilité publique. Des personnes ressources à l’extérieur. »

 

Gilles Blanc

« C’est important d’avoir de bons politiques. Enfant, j’ai été usager des maisons d’enfants et l’éducation nationale est une machine à broyer. Les enfants ont besoin d’être élevés plutôt qu’éduqués. Moi j’ai eu la chance de rencontrer des adultes référents. Besoin de devenir comme l’autre pour être soi-même. Etre confronté à la question de la réhabilitation paternelle, être aidé pour se construire. »

Sur la question des acquis, il y a des jeunes qui veulent acquérir et des jeunes qui veulent conserver. Le besoin d’être reconnu, c’est pourquoi je crois à la question politique. Nous sommes d’une génération où la question du vivre ensemble dans les quartiers avait du sens. A chaque génération, les adultes voudraient que les jeunes s’approprient leurs valeurs, c’est une pratique normée et les professionnels sont en charge de faire passer ces valeurs normées. Nous sommes d’une génération où l’argent était sale, on existait parce qu’on avait plein de copains et pas parce qu’on avait une grosse voiture. On ne se posait pas la question de l’origine des uns et des autres. Il faut éduquer les adultes pour qu’ils réapprennent la tolérance… »

Kader Azzimani, Syndicat des commerçants non sédentaires et citoyen engagé.

Kader considère que c’est la communauté musulmane qui est visée aujourd’hui : « On parle des quartiers depuis des années, c’est toujours le foot et le Rap qui sont mis en avant. Pourtant dans ces quartiers, il y a des gens qui ont fait des études. Il y a plein d’initiatives comme par exemple ces jeunes de quartier qui s’engagent dans l’humanitaire. Pourquoi il n’y a pas de reportage qui en parle ?  Nous sommes des milliers de musulmans en France qui travaillent, pourquoi cette fracture ? Tous ces jeunes de 14-16 ans dont on ne veut pas s’occuper, ils pensent que la France veut les faire perdre, que la laïcité est une nouvelle religion qu’ils sont en train de créer et que Charlie Hebdo, c’est les services secrets… Ceux qui partent en Syrie sont les plus discrets. Le sentiment que la faute est d’être des deux côtés, français et musulman. Quant au Conseil du culte Musulman, les musulmans ne le reconnaissent pas et avant de construire une instance, il aurait fallu leur demander leur avis. » 

 

Débat ouvert

De nombreux invités ont rebondi sur la dernière intervention de Mr Kader Azzimani. La question de la laïcité a donc été au cœur d’un débat de conclusion.

Qu’est-ce que l’on met sous le terme de laïcité ? Le besoin de définition est apparu fortement : « Le concept de laïcité est à manier avec délicatesse. Il faut combattre l’ignorance. ».

La laïcité peut être perçu comme excluant la religion d’une façon générale :

« Par rapport à la question de la laïcité, les cathos ont été mis au pas, on leur a demandé de ranger leurs croix ! ».

Elle peut être perçue aussi comme un levier pour exclure une catégorie de citoyen et sous le prétexte de laïcité, c’est bien « une » religion qui est exclu.

« La laïcité de Sarko  s’est construite contre les musulmans ! ».

On retiendra pour conclure c’est deux interpellations :

« L’ignorance est un handicap face à la laïcité. La laïcité, c’est le respect mutuel. »

« Le vivre ensemble est républicain. La question religieuse est personnelle, chacun doit pouvoir l’exercer en toute sérénité ».

 

Christophe Cavard de conclure :

Considérer le principe de laïcité comme permettant de stigmatiser l’autre est une véritable dérive.

Le principe même de laïcité est de permettre le « vivre ensemble ».

S’il y a une chose positive à ressortir de ces catastrophes et du contexte dans lequel nous vivons, c’est bien notre capacité à mener la réflexion qui permettra de retrouver les valeurs qui préexistaient. Mais plus encore de nous mettre collectivement dans l’action pour dépasser l’épreuve actuelle.

La qualité des échanges d’une soirée comme celle-là, atteste de notre capacité à y parvenir.

Remonter