Contre une loi incomplète pour le développement régional de l’apprentissage

Christophe Cavard intervenait jeudi 4 février sur la proposition de loi de Christian Estrosi, pour favoriser le développement régional de l’apprentissage.

 

La proposition de loi de notre collègue Christian Estrosi, déposée au début de la campagne pour les élections régionales, et  signée par l’ensemble des parlementaires de sa formation politique candidats à ces élections, a de fait plus l’allure d’un tract électoral que d’un document sur lequel l’assemblée nationale pourrait s’appuyer pour travailler sérieusement à cette question essentielle qu’est le devenir de l’apprentissage.

Et c’est dommage, car ces questions, et notamment celle qu’elle contient en creux, la place des régions dans ce dispositif, doit être sérieusement travaillée.
Les premiers mots de l’exposé des motifs donnent le ton, comme si l’univers avait basculé en 2012, transformant un monde merveilleux en débâcle.
Les mauvais bilans de l’alternance ne datent pourtant pas de 2012. En la matière, le bilan du quinquennat précédent était déjà un mauvais bilan, alors même que le gouvernement d’alors regorgeait d’annonces péremptoires et d’objectifs ambitieux. Pourtant, le premier recul date bien de là,  avec une baisse globale de 3% entre 2008 et 2011, et un outil, le portail de l’alternance, lancé à grand renfort de communication par Laurent Wauquier, dont tout le monde s’accorde aujourd’hui à dire qu’il a coûté cher pour un résultat inexistant.

La caricature que l’on retrouve dans votre exposé des motifs ne nous sera d’aucune aide dans ce dossier. Elle ne peut qu’handicaper notre appréhension du problème.

Pourtant les questions que la proposition aborde sont d’actualité. La question de la décentralisation de certaines compétences en matière d’apprentissage doit être posée. Les écologistes y sont de tout temps favorables, et c’est encore plus vrai en matière d’apprentissage. On ne développe pas l’apprentissage sans les Régions, encore moins contre elles.
Cette question sérieuse doit donc être traitée sérieusement. Ce que votre proposition ne fait pas. Il est à cet égard significatif que votre collègue Gérard Cherpion, avec lequel je ne suis pas toujours d’accord, mais dont chacun s’accorde à dire qu’il connait particulièrement bien le sujet, n’est pas signataire de votre proposition. Gageons qu’une meilleure association avec les spécialistes de vos rangs aurait pu vous éviter quelques erreurs et confusions.
Je reviendrais sur le rôle des régions à la fin de mon intervention, mais votre proposition pose trois questions, sur la place des lycées professionnels, sur l’âge d’entrée dans l’apprentissage, et sur la mobilisation des branches autour de banques régionales de l’apprentissage, qui doivent d’abord être évoquées.
Vous souhaitez « donner aux apprentis les mêmes droits et conditions de travail que les salariés ».  En « alignant les apprentis sur un statut similaire aux autres salariés, un chef d’entreprise pourra lui confier des missions identiques aux autres salariés, l’incitant ainsi à recourir à l’apprentissage et à faire confiance à ses apprentis », dites-vous. Mais c’est méconnaitre profondément ce qu’est l’apprentissage. L’apprenti, c’est celui qui est en train de s’initier à quelque chose, nous disait Chrétien de Troyes, qui fut le premier à importer ce mot dans la langue française.
Cela signifie deux choses : d’une part qu’on ne peut lui confier les mêmes taches qu’un salarié qualifié. En d’autres termes, l’apprenti n’est pas un salarié à bas prix. Et que d’autre part, l’apprenti est en initiation, ce qui emporte deux conséquences : il a encore besoin d’une formation intellectuelle et pratique qu’il trouve dans son cursus scolaire, et chez l’employeur qui le forme à adapter son savoir à ses réalisations.
La spécificité de l’apprenti ne peut donc conduire à fusionner les lycées professionnels et les centres de formation à l’apprentissage. L’éducation nationale ne forme pas seulement à devenir un professionnel, mais aussi à devenir un citoyen, et un acteur de sa propre vie. La forme de l’enseignement dans les lycées professionnels est différente de celle des CFA, ce qui permet à l’élève de choisir la forme la plus adaptée pour lui, et de permettre à des jeunes, mais aussi à des moins jeunes, qui ont parfois déjà quittés le cycle scolaire, de reprendre à 20 ou 25 ans une formation en alternance, ce que le lycée ne permet pas.
La question de l’âge est d’ailleurs présente dans votre texte, non pas pour l’étendre au-delà de 25 ans, mais pour abaisser l’âge d’entrée en apprentissage à 14 ans. C’est vrai, certains élèves de troisième montrent des capacités de travail remarquables dès leur stage d’observation en entreprise, pourquoi attendre, nous dites-vous ? Parce que, si l’on poursuit réellement l’objectif d’émanciper les jeunes, alors il faut leur donner les armes pour qu’ils s’émancipent. Les armes pour qu’ils soient un jour de bons professionnels, et pas seulement de bons ouvriers. Qu’ils puissent envisager de monter leur entreprise, et qu’ils aient donc des connaissances sur ce qu’est l’entreprise, le droit, la comptabilité, et pas seulement la maîtrise d’un savoir-faire. Les armes pour qu’ils soient citoyens, parents, qu’ils développent éventuellement d’autres talents que leurs seules habilités au métier qu’ils choisissent à 16 ans ou au-delà. Des armes pour qu’ils puissent continuer à se former, changer de vie et de métier, s’investir dans la vie publique, dans leur vie familiale, dans l’éducation de leurs enfants, dans la vie de leur quartier et de leur cité. Voilà ce qu’est l’objectif d’émancipation, et voilà pourquoi l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans. Voilà pourquoi la question de l’âge de l’apprentissage ne doit pas être posée en termes d’abaissement, mais en termes d’extensions au-delà de 25 ans. Il n’y a pas d’âge pour vouloir devenir boulanger, ébéniste, ou horticulteur, parce que l’on a découvert à 30 ans que c’était le métier qui nous passionnait. C’est ce principe de la formation tout au long de la vie qu’il faut penser et mettre en acte.

La question de la banque régionale, maintenant. L’idée de la plateforme en ligne est intéressante, mais on a vu dans les expériences précédentes combien l’exercice pouvait être inutile s’il n’était pas précédé d’une vraie analyse des besoins, et d’une réflexion sur sa conception technique. Or, votre proposition n’aborde absolument pas ces dimensions.
Vous dites vouloir associer les branches. Certes. Mais l’avez-vous fait ? Les avez-vous rencontrés ? Si c’est le cas, que vous-ont’elles dit ? Sont-elles prêtes à financer ? Sont-elles toutes organisées à l’échelle des nouveaux territoires régionaux ? Sont-elles prêtes, en d’autres termes ? De tout cela nous ne savons rien. Tous ceux qui ont pratiqué les dispositifs de ce type savent combien la question est compliquée, parce que chaque branche tend à s’affirmer comme spécifique dans son organisation ou sa pratique, et qu’on ne peut présupposer de son accord avant de l’avoir concrètement recherché, et d’en avoir recherché les possibilités.

Ce travail préalable est indispensable. Nous devons le mener avant de nous engager.

Reste donc cette question du rôle des régions.  La véritable question n’est d’ailleurs pas tant celle de la place des régions dans le dispositif de l’apprentissage, elle est de savoir comment créer au mieux une adéquation entre les besoins en formation et les possibilités de se former. Les régions ont ici un rôle essentiel à jouer, pas seulement pour répondre aux besoins de main d’œuvre des entreprises, comme vous le pensez, mais également pour anticiper les évolutions de notre monde, et les besoins futurs, notamment dans ces filières émergentes liées à la transition écologique de l’économie.
Il y a là une triple exigence de proximité et de mobilité.
Nous pensons, au sein du groupe écologiste, que la région est l’échelle territoriale pertinente pour connaitre les besoins du territoire. Mais il faut aussi que les régions s’organisent dans la proximité pour comprendre le projet de celle ou celui qui va se former, pour le conduire vers la trajectoire qui lui correspond le mieux. L’un des facteurs d’échecs de notre système d’apprentissage réside dans l’inadaptation des parcours de formation aux volontés des apprentis et des lycéens. Nous avons trop d’élèves démotivés par une inadéquation de la formation avec leurs envies, avec leurs volontés. Cette démotivation peut mettre à bas les meilleurs potentiels. Il faut à tout prix l’éviter, et penser les conduites des trajectoires d’apprentissage dans l’écoute des futurs apprentis.

Si décentraliser à un sens, c’est de permettre cette double proximité. Mais ça ne s’arrête pas là. Décentraliser au profit des régions n’aura de sens que si les régions jouent le rôle d’ouverture vers l’espace national et européen. Nos dispositifs doivent permettre cette mobilité européenne, et doivent être pensés dans cette finalité. L’essor des savoir-faire français ne s’est jamais fait dans l’enfermement national. Au contraire, c’est la circulation des savoirs, depuis les débuts du compagnonnage dans l’Europe médiévale, jusqu’aux échanges contemporains, qui a permis l’essor de l’artisanat et de l’industrie, en France et en Europe. Cette dimension est essentielle, et il faut que la loi la consacre.
Votre proposition, Monsieur le rapporteur, pose indéniablement des questions qu’il nous faut prendre à bras le corps, avec des évaluations sérieuses, avec des analyses approfondies.
En attendant le débat autour du texte sur la formation professionnelle, qui devrait être présenté en avril, et durant lequel nous pourrons reprendre ce travail de façon sérieuse, le groupe écologiste appelle à rejeter le texte.

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