Formation professionnelle tout au long de la vie et démocratie sociale: des enjeux sociétaux
Mercredi 5 février, Christophe Cavard intervenait pour le groupe écologiste sur le projet de loi sur la formation professionnelle, l’emploi et la démocratie sociale, avant l’ouverture des débats pour défendre les nombreux amendements déposés pour améliorer le texte.
« Nous ouvrons ce débat parlementaire sur un texte issu d’un accord interprofessionnel qui devrait être signé par les partenaires sociaux dans les heures qui viennent. Nous disposons de 20 heures dans cet hémicycle pour que la démocratie parlementaire prenne place dans le dialogue social.
Les écologistes ne cesseront de répéter que dans la crise que nous traversons, le développement économique doit être ré-orienté pour faire face aux défis sociaux. La croissance doit être sélective, et répondre aux besoins, en matière d’énergies renouvelables, de logements, de mobilité, d’éducation, de santé, d’alimentation de qualité, et aussi d’accueil et de bien être des plus jeunes et des plus anciens. Une croissance sélective au travers d’investissements ciblés créera les emplois nécessaires à l’autonomie et à l’épanouissement de toutes et tous.
Or, souvent ces emplois relèvent de nouveaux métiers, de nouvelles compétences, de nouvelles qualifications. La formation professionnelle est ainsi un enjeu prioritaire pour la reconversion de notre économie.
Mais c’est également un enjeu pour la progression individuelle, pour le développement personnel, au travers du plaisir d’apprendre, d’acquérir de nouveaux savoirs ou savoirs faire. En France, nous devons bâtir une culture de la formation tout au long de la vie, pour une société dynamique, innovante, enthousiaste, créative, ou chacun trouve une place à sa mesure.
Le texte que nous étudions comporte trois parties distinctes. Une partie concerne la formation professionnelle continue, l’apprentissage, la gouvernance et la décentralisation, une autre partie traite de démocratie sociale et enfin la dernière d’inspection du travail.
Devant le rassemblement de sujets aussi différents, et face aux enjeux sociétaux que chacun comporte, ce texte, tel qu’il est présenté aujourd’hui, ne constitue, à nos yeux, qu’une première étape qui demandera des précisions et des ajustements.
Nous proposerons d’améliorer ce qui peut l’être ici, mais :
– nous appelons à ce qu’une impulsion plus grande, plus ambitieuse, plus politique soit donnée à notre volonté de rendre effectif le doit à la formation tout au long de la vie ;
– nous voulons que la démocratie sociale rencontre la démocratie participative régionale ;
– nous voulons que l’inspection du travail s’inscrive dans un cadre européen pour améliorer les conditions de travail et lutter contre le dumping social.
Sur la formation professionnelle tout d’abord. La création du Compte Personnel de Formation (CPF) est attendue depuis longtemps. C’est une avancée car d’une part il est attaché à la personne et non plus au poste, et d’autre part il pourra être mobilisé sur la seule initiative de son bénéficiaire, que l’on soit salarié ou demandeur d’emploi.
Malgré les réformes multiples autour de la formation, elle continue cependant à bénéficier à ceux qui en ont le moins besoin, les salariés les plus diplômés, tandis que les salariés avec un niveau de formation initiale plus faible, les demandeurs d’emploi et les seniors en bénéficient beaucoup moins.
Le compte personnel de formation, parce qu’il est attaché à la personne, pourra être plus accessible aux publics les plus éloignés des dispositifs de mobilisation de ce droit individuel à la formation tout au long de la vie.
Du point de vue des personnes il ne sera néanmoins effectif que s’il est simple, lisible et facilement accessible.
La mobilisation du compte personnel de formation doit être facilité pour les salariés mais également mieux ouvert aux salariés à temps partiel non choisi, souvent des femmes, aux demandeurs d’emploi et bénéficiaires de minimas sociaux, aux personnes en situation de handicap, et également aux fonctionnaires de catégorie C.
Aujourd’hui seuls 20% des demandeurs d’emploi bénéficient d’une formation et seulement 12,5 % des fonds de la formation leur sont consacrés. C’est bien insuffisant, il faut trouver des solutions.
La question de l’origine du financement et de sa répartition, ainsi que la possibilité d’augmenter le plafond horaire limité à 150 heures, fera l’objet de propositions d’amélioration du texte.
Car nous jugeons avec d’autres que 150 heures, ce n’est pas assez pour bénéficier d’une formation qualifiante. C’est pourquoi le dispositif doit assurer la possibilité d’abondements, c’est-à-dire de crédits d’heures supplémentaires, financés selon la situation par différents organismes, les OPCA, les entreprises, les Régions, Pôle emploi, ou encore le bénéficiaire lui-même.
Nous nous interrogeons cependant sur les moyens réels dont disposeront ces financeurs. Les régions pour les demandeurs d’emplois, mais aussi pour les personnes en situation de handicap, auront-elles les moyens d’y parvenir ? Les OPCA, qui dépendent des mécanismes de financements des entreprises, pourront-ils honorer les demandes, notamment pour les salariés des petites et moyennes entreprises?
Par ailleurs sur les contenus des formations proposées dans le cadre du CPF, des listes nationales et régionales sont établies.
Nous devons mieux travailler par branches et par secteurs. Par branche car nous devons raisonner par filières: développer des formations là où il y a un besoin, et anticiper les reconversions là où la décroissance des activités s’annonce. Par secteurs car nous devons soutenir par exemple celui de l’économie sociale et solidaire.
Nous voulons que ce projet de loi soit véritablement l’occasion de renforcer les leviers pour la transition écologique. Nous ferons plusieurs propositions à l’image de l’amendement proposé par Denis Baupin et les députés écologistes, adopté en commission, qui précise que le Conseil en évolution professionnelle, confié aux régions, devra prendre en compte l’émergence de nouvelles filières métiers dans le domaine de la transition écologique et énergétique. Le Conseil national de la transition écologique récemment créé devra bien évidemment être associé à la constitution des listes de formations éligibles au CPF.
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Nous soutenons l’objectif du gouvernement de 500 000 apprentis d’ici 2017. La possibilité de conclure un contrat à durée indéterminée (CDI) « apprentissage » sera certainement incitative. Les nouvelles missions des Centres de formation des apprentis (CFA) pour un accompagnement professionnel et social renforcé des jeunes, c’est aussi un progrès. Ces missions seront-elles menées à moyens constants ou valorisées par le décret prévu, que devront valider les Présidents de région? Ces derniers pourront ils établir des conventions de partenariats avec l’AFPA? De façon générale nous devons sécuriser les collectivités territoriales pour qu’elles s’autorisent des partenariats par conventions, plutôt que des prestations par marchés publics qui engagent souvent des concurrences inutiles.
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Le texte cherche ensuite à encourager la démocratie sociale.
Les rapports de force existent et existeront toujours dans nos sociétés, la conquête de nouveaux droits individuels n’est pas spontanée, c’est un cap qui demande des garanties pour que le dialogue social soit loyal et équilibré.
Sociale-écologie et démocratie sociale sont plus que compatibles, elles vont ensemble! Simplement il faut s’assurer d’être exhaustif dans la représentation des partenaires sociaux susceptibles de participer aux consultations et aux concertations. Pour une véritable démocratie sociale, c’est à dire pour des négociations et la recherche de compromis acceptables par tous il faut que tous soient représentés!
Ici par exemple manquaient à l’appel dans le projet de loi initial, les acteurs de l’économie sociale et solidaire, de l’agriculture et des professions libérales, tels que les professionnels de la santé, du droit ou du cadre de vie. En dernière minute, un protocole d’accord entre organisations patronales interprofessionnelles et multi-professionnelles vient tout juste d’être signé jeudi dernier. Il prévoit d’intégrer la consultation des organisations multi-professionnelles dans les démarches de dialogue social. Après nos débats en commission, nous avons prévu d’intégrer par voie d’amendements ces acteurs dits du « hors champs », qui fédèrent un tiers de l’activité économique et des emplois en France. Ce sera un progrès, qui nous l’espérons, permettra de mieux associer à l’avenir, des travailleurs et employeurs dont l’activité est bien souvent non délocalisable et créatrice d’emploi dans des secteurs utiles d’un point de vue social et environnemental.
Pour poursuivre sur ce registre de la bonne représentation de tous dans les processus de négociations sociales, je formule un regret: l’absence des demandeurs d’emploi. C’est une question complexe, car le statut de demandeur d’emploi n’est pas un statut que l’on souhaite conserver ou défendre, pourtant de très nombreuses personnes en recherche d’emploi auraient de l’expertise à apporter et des choses à dire sur leurs besoins en formation.
Il faudra donc progresser pour trouver les formes adéquates à leur association, probablement au niveau local.
Si le dialogue social doit progresser par l’élargissement des membres associés, il doit également progresser au niveau territorial.
Fédéralistes, les écologistes soutiennent le renforcement d’une décentralisation encore inaboutie. Les régions, en charge de la formation professionnelle, en lien avec les départements responsables des programmes d’insertion sociale et professionnelle, devraient également pouvoir s’appuyer sur des accords régionaux interprofessionnels et multi-professionnels équilibrés. Ainsi se retrouveraient autour de la table, et au plus près des programmes à élaborer, l’ensemble des parties prenantes, qu’il s’agisse des financeurs, des prescripteurs, des prestataires, des entreprises, des syndicats de salariés et des bénéficiaires représentés. Quoi qu’il en soit, si le texte ne prévoit pas explicitement les modalités du dialogue social territorial, il reste à conforter localement, pour de nouvelles pratiques en adéquation avec ces nouvelles compétences accordées aux régions.
Car à la démocratie sociale et à la démocratie parlementaire nous devons ajouter la démocratie participative qui s’installe progressivement dans les territoires, souvent recommandée par les programmes européens dont les fonds alimentent les politiques publiques locales.
Fédéralistes les écologistes souhaitent également une meilleure articulation entre les Régions et l’Europe.
En matière de formation professionnelle, l’Europe dispose de programmes et de fonds dont les collectivités régionales vont avoir désormais la gestion directe. Mais cela sera bien insuffisant pour répondre aux réels besoins en matière de formation notamment des demandeurs d’emploi. Il est donc indispensable d’avancer sur une réforme fiscale accordant de véritables moyens aux collectivités régionales.
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Pour terminer et concernant le titre III sur l’inspection du travail, je vous avoue monsieur le Ministre que nous ne comprenons pas ce que cela vient faire dans ce texte. Y avait-il urgence à proposer cette réforme ? Vous savez que la plupart des inspecteurs du travail et des contrôleurs ne sont pas d’accord avec ces propositions. Vous soutenez le dialogue social alors pourquoi vouloir passer en force dans ce domaine avec notamment le recours annoncé aux ordonnances ? Prenons le temps de l’échange, et de bien comprendre les blocages.
Les inspecteurs du travail sont indispensables au respect des droits des travailleurs, à la prévention des abus par des employeurs peu scrupuleux et à la promotion du développement économique et social. Le 14 janvier dernier, le Parlement européen a adopté une résolution appelant à des inspections du travail efficaces pour l’amélioration des conditions de travail en Europe et afin de lutter contre le dumping social. Karima Delli, eurodéputée écologiste a ainsi rappelé «la nécessité de renforcer la coopération administrative des Etats européens en matière d’inspection du travail, par la création d’un corps européen d’inspecteurs du travail que nous appelons de nos vœux depuis 2011 ». Voilà ce qui aurait pu nous occuper aujourd’hui.
Monsieur le Ministre, malgré ces réserves sur lesquelles nous reviendrons, globalement ce texte est un pas en avant pour la formation professionnelle et la démocratie sociale. Pour l’améliorer, les écologistes s’inscriront positivement dans le débat, dans le respect des partenaires sociaux et de notre majorité.
Merci. »