Rencontre avec le Ministre du travail et soutien aux intermittents du spectacle
Mercredi 23 mai, Christophe Cavard participait à une rencontre des Députés membres de la commission des affaires sociales avec le nouveau Ministre du Travail, de l’Emploi et du Dialogue social, François Rebsamen pour évoquer l’ensemble des prochains textes législatifs.
Christophe Cavard a interpellé le Ministre et son équipe sur le régime des intermittents du spectacle et l’accord du 22 mars qui instaure de nouvelles règles d’assurance chômage dénoncées par les organisations représentatives du secteur.
Il a notamment insisté sur le dialogue social, qui devient un mauvais alibi lorsque celui-ci n’est pas réalisé avec les bons représentants. En effet il est important, dans l’objectif de renforcer un véritable dialogue social aboutissant à des accords justes et équilibrés, que les secteurs professionnels soit représentés dans les négociations, pas uniquement les centrales syndicales.
Dans la même logique que ses multiples interventions en faveur de la représentation des acteurs de l’Economie sociale et solidaire dans la négociation d’accords interprofessionnels, il a insisté pour que tous les représentants des professionnels intermittents du spectacle soit entendus, en proposant qu’une rencontre, à la quelle il souhaite participer, se tienne rapidement et avant l’été.
Midi Libre Nîmes 7 mai 2014
Les intermittents du spectacle : ni fainéants, ni privilégiés
Nous ne sommes là ni pour nous engraisser avec le système ni pour buller dans notre canapé. Nous aimons passionnément travailler. C’est lassant de passer pour des tire-au-flanc », assène Yann Le Floch, régisseur son à Paloma, pour Jazz 70 et d’autres associations nîmoises. L’indignation est partagée par tous les artistes et techniciens qui voient régulièrement leur régime d’assurance chômage remis en question sous prétexte qu’il plomberait financièrement la collectivité. Or, le déficit soi-disant chronique de ce régime particulier est stable depuis 2000.
Déjà en 2003, malgré la mobilisation et l’arrêt des festivals comme celui d’Avignon, le régime avait été modifié contre l’avis des premiers concernés. En mars dernier, le Medef a redemandé la suppression du régime, avant de faire marche arrière en proposant des aménagements qui inquiètent.
Un conflit social
La mesure la plus controversée est l’instauration d’un différé avant de percevoir ses indemnités. Un délai pouvant aller jusqu’à un mois et demi sans revenu. Pour Denis Lanoy, directeur du Triptyk théâtre : « Les propositions actuelles sont humiliantes. Le calcul de ce différé prévoit que moins un intermittent gagnera, plus il aura de délai de carence. C’est un système qui pousse ouvertement les plus précaires par la fenêtre. Cette méthode veut faire des économies en réduisant, par élimination, les plus fragiles. Aujourd’hui, ce conflit idéologique est devenu un conflit social et politique. »
Idéologique car il discrédite un domaine d’activité qui n’est pas quantifiable en terme d’argent alors qu’il rapporte gros pourtant, en retombées touristiques, économiques et d’emploi. En France, les secteurs marchands culturels comptent 160 000 entreprises et emploient 2,3 des actifs, autant que l’agriculture. Sans oublier bien sûr l’enrichissement humain.
« Désormais s’ajoute cette suspicion de malhonnêteté »
La chorégraphe Zéline Zonzon de Vie d’artiste
« Pourtant, l’idée de l’artiste payé pour son travail n’est pas entrée dans l’inconscient collectif. Comment un artiste peut-il vivre de son travail ? Nos métiers demandent une remise en question constante pour créer et désormais s’ajoute cette suspicion de malhonnêteté. Comment évaluer le coût d’un spectacle de deux heures, résultat de plusieurs mois de création préalable ? », souligne, en colère, la chorégraphe Zéline Zonzon de Vie d’artiste. Le régime des intermittents y pourvoit indirectement en soutenant toutes ces heures de création, répétition, préparation non comptabilisables mais effectives. Il compense cet investissement temps que les intermittents font sans cesse.
Obsédés par le calcul d’heures
Quel salarié comprendrait que seule soit payée la dernière étape de son travail mais pas celles qui l’ont précédée ? De surcroît, la crise de l’emploi existe aussi dans ce milieu et il n’est pas toujours aisé d’atteindre le quota des 507 heures. « Nous les musiciens sommes souvent dans la survie. Notre quotidien est de chercher du boulot, donner des cours pour pouvoir continuer. Il faut pleurer pour avoir une fiche de paie car on nous propose de jouer au black, remarque un musicien désabusé. C’est un milieu qui subit le chantage au travail. Certains n’ont pas le choix. Aujourd’hui, les musiciens intermittents sont obsédés par leur calcul d’heures. »
Dans ces conditions, le nouveau plafond du cumul salaire + indemnités à 5 000 € (descendu récemment à 4 283 € bruts) mensuels fait bondir artistes et techniciens nîmois : « Ici, nous sommes plus près d’une moyenne de 1 500 €. La somme astronomique et invraisemblable annoncée nous fait passer pour des privilégiés. En donnant une fausse image à l’opinion publique. C’est de la manipulation. »
Pour une remise à plat du régime
Car contrairement à l’audiovisuel, dans le secteur du spectacle vivant, les salaires sont loin d’être mirobolants. « Ce système a été créé pour aider les plus précaires à vivre décemment mais il a été désavoué par les accords de 2003 et va l’être plus encore avec les nouveaux », s’insurge Denis Rateau, technicien lumière intermittent depuis treize ans au théâtre de Nîmes, régisseur général aux Hivernales ou sur des tournées. Il avait voté, en 2003, l’arrêt du Festival d’Avignon et milite aujourd’hui, comme beaucoup, pour une remise à plat du régime. « Nous réclamons une vraie réforme. Avec retour à un système mutualiste plus solidaire au lieu de l’actuel système assuranciel. Nous souhaitons que la période pour le calcul des droits revienne à 12 mois au lieu de 10 ; un vrai plafonnement du cumul indemnités et cachets qui ne favorise pas les plus riches, une annexe unique pour techniciens et artistes… »
Des propositions jamais prises en compte
Ces propositions découlent du comité de suivi sur l’intermittence, réunissant acteurs de la profession, partenaires sociaux, syndicats, députés et sénateurs, qui s’était réuni, en 2003, à l’Assemblée nationale, et qui été récemment réactivé.
Ces pistes soutenues par l’actuel ministre du Travail n’ont jamais été prises en compte. « On présente sur un plateau un régime d’assurance chômage idéal, plus juste et qui ne perd pas d’argent. Comment expliquer qu’on n’y fasse jamais référence, qu’on préfère diaboliser ? », ajoute Denis Rateau.
Le risque : moins de travail
Sous couvert d’économies, les prochains accords du Medef prévoient également une augmentation des charges salariales et patronales. Elles s’élèveraient à 13 % dont 4,8 % pour les salariés. Avec bien sûr des répercussions en terme de travail.
« Déjà les petites compagnies font moins appel à nous que lorsque j’étais en début de carrière, voilà vingt-cinq ans, remarque Marianne Vally, costumière au festival lyrique d’Aix, où elle passe trois mois, depuis dix ans et habilleuse au théâtre de Nîmes. J’ai de la chance d’être reprise à Aix, sinon je n’aurais plus mes heures. Chaque année, je suis sur la corde. Avec la hausse des cotisations, outre les répercussions sur nos salaires, il y aura encore moins de travail. Avec le risque de devoir abandonner notre métier. »
Après Cyrano de Bergerac, les 17 et 18 avril derniers, en fin de représentation, l’acteur Philippe Torreton demandait aux techniciens de rejoindre les comédiens sur scène pour alerter le public sur la situation menacée des intermittents : « Sans eux, un tel spectacle n’aurait pas pu avoir lieu. » Véritables fourmis laborieuses et inconnues des projecteurs, ils sont la cheville ouvrière de tout un secteur d’activité.
« Ce ne sont pas des insouciants qui se promènent dans la vie, la fleur à la bouche »
Sophie Noël, directrice technique du théâtre de Nîmes
En une saison, le théâtre de Nîmes en emploie près d’une soixantaine, en plus de six techniciens permanents. « Certaines grosses productions nécessitent jusqu’à vingt-cinq personnes et nous ne pourrions posséder une telle équipe à l’année, précise Sophie Noël, directrice technique du théâtre de Nîmes. Il faut changer de regard sur les intermittents. Ce ne sont pas des insouciants qui se promènent dans la vie, la fleur à la bouche. Ils vivent dans un stress permanent, n’ont pas d’horaires, de jours fériés. Ils ne s’arrêtent pas quand ils sont malades. Ils sont dans une exigence permanente avec eux-mêmes. »
Bien sûr, l’augmentation des charges patronales proposée dans les nouveaux accords l’inquiète, « cela risque d’avoir des incidences sur l’artistique, avec peut-être une coproduction en moins ».
« Ce sera dur pour les artistes un peu à la marge, innovants, ou débutants »
Flavie Van Cohen, directrice adjointe de Paloma
À la Smac Paloma, qui a fait appel, en 2013, à 182 intermittents différents (122 artistes et 60 techniciens réguliers), ces mesures font également grincer des dents. « En tant qu’employeur, nous sommes choqués et solidaires. Malgré l’augmentation de nos charges, nous rehausserons les salaires pour compenser le manque à gagner des intermittents que nous emploierons, ajoute Flavie Van Cohen, directrice adjointe de Paloma, regrettant que les nouveaux accords nivellent les différences. C’est la loi de la jungle. Ce sera dur pour les artistes un peu à la marge, innovants, ou tout simplement débutants. Pour eux, ce sera marche ou crève. »
Les propositions d’un comité de suivi
Une situation d’autant plus injustifiée pour Flavie Van Cohen qu’une alternative existe. « Nos propositions n’ont jamais été prises en compte. »
Les propositions d’un comité de suivi réactivé récemment, rassemblant la coordination des intermittents et précaires, la CGT-Spectacle, la Fédération des arts de la rue, le Syndicat des musiques actuelles (ex-Fédurock) Sud culture solidaire, la Société des réalisateurs de films, le Syndeac (les directeurs de théâtre), la Synavi (syndicat des arts vivants) et l’Ufisc (pour les structures culturelles). Avec pour but un système plus juste et moins coûteux. Et l’incompréhension de les voir rester dans un tiroir.