Sud Ouest du 18 janvier 2015 – Après les attentats
Christophe Cavard était interrogé par Sud Ouest pour faire le point sur l’organisation du Renseignement français.
Article réalisé par le journaliste Yann Saint Sernin pour Sud Ouest (le 18 janvier 2015).
Quelques heures après les attentats de Paris, le Premier ministre Manuel Valls ne pouvait que reconnaître « des failles » dans le système de renseignement français. Trois ans après le raté retentissant de Mohamed Merah, puis le cafouillage Mehdi Nemmouche en mai dernier, l’incapacité des services à anticiper le passage à l’acte des frères Kouachi et surtout celui d’Amedy Coulibaly pose inévitablement question (même si plusieurs attentats ont été déjoués en 2014). D’autant que plus l’enquête avance, plus la thèse de loups solitaires se radicalisant seuls s’éloigne au profit de celle d’une véritable cellule dormante constituée à partir de filières anciennes et parfaitement connues. Il est sans doute trop tôt pour identifier avec précision les éventuelles failles avancées par le Premier ministre. Reste que dès l’affaire Merah un certain nombre de faiblesses avaient déjà été repérées au sein de la DCRI devenue depuis DGSI.
Rivalités
Créée en 2008, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy qui rêvait d’un « FBI à la française », la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) a rompu de façon brutale avec la tradition bicéphale du renseignement civil français qui se partageait entre les Renseignements généraux (RG) et la Direction de la surveillance du territoire (DST). Cette dualité avait montré ses limites en matière de contre-terrorisme, l’efficacité étant parfois sacrifiée sur l’autel des guerres intestines et rivalités entre services.
In fine, le regroupement des deux entités au sein de la DCRI, sous l’impulsion de Bernard Squarcini, a marqué le triomphe de la DST sur les RG. Héritage de la guerre froide et de la lutte face à des menaces plus conventionnelles, la DCRI adopte sur le modèle de la DST une structure hypercentralisée où le secret défense tient lieu de religion.
Président de la commission d’enquête sur l’affaire Merah, le député EELV Christophe Cavard avoue être tombé de sa chaise en entendant certains témoignages. « La fusion s’est faite de manière si brutale que cela a déstabilisé tout le monde. Et le savoir-faire des RG, basé sur la proximité et un maillage territorial fort, avait presque totalement disparu. Une partie de leurs fiches avait même été détruite », explique le parlementaire.
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Autre chamboulement dans le monde du renseignement : les printemps arabes. « Cela provoque beaucoup de brouillard. Les services français avaient l’habitude de travailler avec des offices qui soit n’existent plus ou ne sont plus du tout coopératifs, comme par exemple les Syriens », relève Christophe Cavard.
L’arrivée au pouvoir de la gauche n’a pas marqué une remise en cause fondamentale du « FBI à la française ». Éclaboussé dans l’affaire des « fadettes », Bernard Squarcini a d’ailleurs laissé sa place à son numéro 2, Patrick Calvar. Mais, sous l’effet de l’affaire Merah, le service accélérera pourtant sa mutation. « Créer une structure comme celle-ci, lui insuffler une culture permettant aux agents de travailler ensemble, achever son administration et l’adapter aux enjeux nouveaux est un travail de longue haleine. Elle ne sera pas véritablement mature avant 2016 », relève un bon connaisseur du dossier.
Devenue DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) en mai dernier, elle a déjà essuyé un certain nombre de réformes. Elle dispose désormais d’un budget autonome et surtout peut recruter en dehors de la sphère policière. Les difficultés du recrutement sont depuis longtemps signalées par les différents rapports sur le renseignement. Certains pointaient même un manque d’attractivité par rapport à la prestigieuse DGSE (le renseignement extérieur, qui dépend de l’armée).
Tour d’ivoire
« Nous avons constaté que les agents étaient très compétents, mais pour la question du djihadisme, ils étaient peu nombreux et donc débordés. Vous trouvez beaucoup de russophones ou de spécialistes en langue basque mais peu d’arabophones. Des cadres expliquent que faute de personnel qualifié en nombre suffisant, ils étaient obligés de sous-traiter à des boîtes privées certaines analyses de disques durs. Sur la connaissance des sujets, le service gagnerait en efficacité en travaillant en lien avec des universitaires. Il y a urgence à sortir de la tour d’ivoire », note Christophe Cavard.
Quant à la spécificité RG, longtemps méprisée au sein de la DCRI, elle se reconstitue peu à peu à travers le Service central du renseignement territorial (SCRT). « Avant, on donnait un renseignement à la DCRI, ils le classaient secret défense et on n’avait plus aucun retour, relève un policier du SCRT. Aujourd’hui, les contacts sont plus faciles, d’autant qu’un certain nombre d’entre nous ont maintenant l’habilitation secret défense (donc l’accès aux fichiers, NDLR), ce qui nous permet de mieux suivre les affaires et d’accéder à leurs informations. »
Forte de 1 300 agents, la DGSI devrait intégrer d’ici à 2019 près de 400 personnes supplémentaires. En 2014, une centaine d’ingénieurs ou de traducteurs ont été recrutés. Un recrutement qui doit s’étaler dans le temps afin de ne pas courir le risque de voir les services infiltrés par d’autres puissances.
Dans un récent rapport, la délégation parlementaire se félicitait néanmoins des progrès accomplis ces dernières années et de la disparition de ce que le député Jean-Jacques Urvoas (PS) n’avait pas hésité à qualifier de « tares congénitales majeures ». Mais, selon ce rapport, le chemin restait encore long pour trouver la pleine efficacité de ce service de renseignement. Toujours dans le viseur, l’implantation territoriale, qui resterait parfois archaïque. Les élus relevaient par exemple qu’alors que la menace d’ETA avait décru, le service avait conservé une antenne à Pau et une autre à Bayonne, distantes de 120 kilomètres. « Alors que dans le Languedoc-Roussillon, il n’y avait pas plus de cinq ou six agents en 2012 », tacle Christophe Cavard.
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